C’est un nouveau coup d’éclat qui risque d’avoir fait grincer des dents à la Case Rocher. Après avoir invité ses compatriotes comoriens à « débarquer par milliers à Mayotte », le gouverneur d’Anjouan, Anissi Chamsidine a signé le 29 janvier un arrêté suspendant « tout mouvement de bateau de transport de passagers en provenance de Mayotte ». De quoi, s’il était suivi d’effet, mettre un sérieux coup au moral à ceux qui comptent bien faire de l’année 2021 celle de tous les records en matière de reconduites à la frontière. Selon le préfet, quelque 600 personnes auraient ainsi été reconduites au cours de la seule semaine dernière.
« Les reconduites se poursuivent à un rythme élevé, nous avons un dialogue très utile porté par le gouvernement et l’ambassade de France avec l’Union des Comores à ce sujet. Tout le monde a compris qu’il y avait intérêt à ce que tout cela continue et tout cela continue intensément », indiquait encore Jean-François Colombet. Mais alors, tout aurait basculé en un week-end par la seule œuvre du gouverneur Chamsidine?
Les rotations de la SGTM se poursuivent
Pas vraiment à en croire le patron de la SGTM qui, outre des colis d’aide sanitaire, transporte à bord de ses bateaux les contingents quotidiens des détenteurs d’OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français). « Le bateau a travaillé hier [dimanche], c’est un non sujet pour nous à la SGTM. Le gouverneur a tenté de suspendre les liaisons mais ce n’a pas été confirmé ni suivi dans les faits », livre ainsi Michel Labourdère. Difficile, lundi, d’en savoir plus en l’absence de rotation ce jour de de la semaine depuis août. « Nous n’avons pas reçu d’objection à poursuivre nos rotations inter-îles », livrait-il cependant en fin de journée. Selon le directeur de la compagnie maritime, le document en question serait même « un brouillon ». L’allure est pourtant bien celle d’un acte officiel. Ajoutons qu’au lendemain de sa publication, le gouvernorat s’est fendu d’un communiqué pour en préciser la raison d’être.
« Dans la gestion de la deuxième vague de la pandémie de la Covid-19, la suspension des entrées et sorties entre les îles est un moyen nécessaire pour maîtriser la propagation de la maladie », indique ainsi l’administration anjouanaise, justifiant encore sa décision par « l’éclosion concomitante d’une flambée à Mayotte (…) à laquelle il faut ajouter les manquements et les défaillances dans les transports maritimes au départ de Mayotte est un risque d’aggravation de la situation épidémiologique des autres îles sœurs ».
Si les autorités de l’île d’Anjouan persistent et signent, reste que ce type de décision, conformément à la constitution de l’Union des Comores, relève exclusivement du pouvoir central. Lequel, selon Michel Labourdère, aurait effectué « un démenti ». Un acte de « provocation », pour nombre d’observateurs, ou « justifié par l’urgence sanitaire » pour d’autres. Mais qui, en l’état, n’a pas de valeur légale. De son côté, le journal comorien Al-Watwan indique que « les hautes autorités n’ont pas ouvertement opposé leur désapprobation à cette mesure du gouverneur ». Et du côté de la préfecture, c’est silence radio sur le sujet.
Diplomatie sanitaire
Il faut dire que le sujet est des plus sensibles. Et rappelle qu’en mars 2018, le gouvernement comorien avait initié une crise diplomatique en refusant l’accès à son territoire aux personnes expulsées de Mayotte. Quelques mois plus tard, en novembre, le coup de pression portait ses fruits : Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères
et son homologue comorien Souef Mohamed El Amine se serraient la main avec la promesse de signer un document cadre. C’est chose faite, et en grande pompe, en juillet 2019. Depuis, si le gouvernement français se fait taiseux, les parlementaires du territoire qui ont été associés à la démarche pestent contre ce que d’aucuns considèrent comme un marché de dupe – l’engagement principal de la partie comorienne consistant à maîtriser les départs de ses ressortissants en direction de Mayotte.
Aujourd’hui, la question sanitaire est sur le devant de la scène du ballet diplomatique franco-comorien. Démunis face à une deuxième vague de coronavirus se muant en raz-de-marée, les Comores ont plus que jamais besoin de l’aide internationale. La Chine a répondu présente, notamment avec l’envoi de médecins. Mais aussi la France, discrètement d’abord, comme a pu l’expliquer Dominique Voynet. Puis officiellement, comme en atteste l’atterrissage ce jeudi d’un avion des Fazsoi (forces armées dans la zone sud de l’océan Indien), accueilli sur le tarmac par l’ambassadrice de France et le ministre de la Défense comorien. Un jour avant la publication du fameux arrêté. Nul doute qu’ils se sont revus depuis.